Je suis maman d’un enfant dans le spectre autistique et je suis fière de l’être. Il est aussi atteint de mutisme sélectif. Vivre avec une singularité ou plusieurs, au quotidien, n’est pas facile. Comme pour toute personne en situation de handicap, il a besoin d’« aménagements » dans sa vie quotidienne et scolaire. Il est aussi nécessaire d’adapter son environnement par des d’accompagnements humains. Néanmoins, ce qui est très difficile à surmonter c’est l’exclusion, la discrimination, l’oppression ou l’indifférence. En effet, les vrais obstacles pour la personne porteuse d’un handicap sont les tendances de la société à normaliser, standardiser, uniformiser. Respectons la diversité, la différence, l’hétérogénéité. Respectons le spectre.
Couleurs sous la pluie
On ne le répètera jamais assez : nous sommes tous différents et la diversité est une richesse. Parler d’autisme c’est parler d’une forme de neurodiversité. Je suis convaincue qu’il est important d’accepter, de respecter et de valoriser notre diversité au sein de nos écoles et de notre société. La plupart du temps, le prisme que les personnes hors du commun nous présentent est incompréhensible à nos yeux. Toutefois, il est plein de couleurs. Que vous le voyiez ou pas, ces couleurs font partie de notre société. Pour la plupart des personnes, la différence évoque un manque ou une faiblesse et par conséquent, une vulnérabilité. Parler de « différence » n’est pas commode, mais on ne devrait pas éviter d’évoquer de ce qui nous rend vulnérables et uniques. Je pense qu’assumer ses différences nous rend plus forts.
Handicaps invisibles
Les handicaps sont très variés. Dans un plus grand nombre de cas, plus de 80 % des handicaps sont dits « invisibles ». On utilise ce nom, car il existe des handicaps qui restent méconnus ou ignorés, par exemple dans le cas de : maladies chroniques ou sévères, les troubles tels que l’autisme, la dyscalculie, la dyslexie, la dyspraxie, la dysphasie, la dysgraphie, la dysorthographie, le TDAH, le toc, le mutisme sélectif, entre autres. Les handicaps sont bien visibles dans certaines situations, mais la plupart des gens ne les voient pas ou refusent de les voir. La vie quotidienne et la vie sociale de la personne concernée par un handicap « invisible » sans adaptations sont affectées par ces singularités et d’autant plus lorsqu’elles restent imperceptibles pour l’entourage.
À cause de l’ignorance, de mauvaises interprétations à l’égard des personnes porteuses de handicaps « invisibles » sont souvent faites, mais leurs difficultés sont bien réelles et les solutions pour les surmonter sont rares. La difficulté de mettre en place des aménagements pour une meilleure adaptation réside dans la spécificité de chaque cas. On a tendance à juger ceux qui ne font pas « comme tout le monde ». Les enfants autistes sont souvent traités de capricieux, difficiles, impolis, mal élevés. Ceci est un exemple d’ignorance et d’intolérance envers cette différence dans notre société. Que le handicap ne se voit pas à certains moments ne veut pas dire qu’il n’est pas là.
À l’école
Cela fait des années que nous entendons parler d’école inclusive. D’un discours à l’autre, on entend les intentions politiques de mettre impérativement en place des solutions et des mesures adaptées pour que nos enfants porteurs de handicaps prennent leur place légitime à l’école. Les intentions ne suffisent plus, il faut agir. Il est temps de voir l’invisible, même si cela dérange. Nous avons besoin que l’école change pour que tous les enfants soient accueillis dans de meilleures conditions. Le monde associatif est essentiel pour donner du soutien et informer les familles concernées par les handicaps et qui doivent pallier le manque de structures, de soins, d’accompagnements adaptés.
Deux troubles
Le trouble du spectre autistique (TSA) et le mutisme sélectif (MS) sont classés comme des troubles par la DSM-V, « Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders » 5 th édition. Il est très commun que les personnes porteuses de TSA subissent un ou plusieurs épisodes de MS au cours de leur vie. Il est aussi fréquent que des épisodes de mutisme sélectif se présentent dans d’autres troubles classés par la DSM-V, comme : le trouble de la phobie sociale, le trouble de l’angoisse de la séparation, ou d’autres phobies.
Je voudrais faire remarquer que l’autisme et le mutisme sélectif sont des troubles envahissants du développement : l’autisme ainsi que le mutisme sélectif ne sont pas des maladies. Il n’y a donc pas de remèdes contre l’autisme ni contre le mutisme sélectif ! D’ailleurs, je préfère utiliser le terme « signes » plutôt que « symptômes ».
Il est important d’indiquer que les signes de ces deux troubles sont perceptibles dès le plus jeune âge. Lorsque la vie scolaire de l’enfant commence, les manifestations de ces troubles sont de plus en plus visibles par leur entourage. Néanmoins, dans les deux cas, le diagnostic est retardé pour différentes raisons. Le mutisme sélectif est confondu avec de la timidité. Pour l’autisme, les spécialistes expliquent que chaque enfant porteur d’autisme présente des signes différents (traits autistiques) et d’intensités variées, c’est pour cela qu’on parle du « spectre autistique ».
Mutisme sélectif
Le mutisme sélectif est un trouble lié à l’anxiété de parler. Il se présente chez l’enfant entre 3 et 5 ans même si le diagnostic est posé tardivement vers l’âge de l’entrée à l’école élémentaire. Le mutisme sélectif est confondu avec la timidité ou le manque de politesse. Les enfants concernés ont la capacité de parler, mais ils ne parlent que dans certaines situations, sous certaines conditions et avec certaines personnes.
Habituellement, ce sont des enfants qui s’expriment à la maison ou dans d’autres lieux familiers, mais ils sont silencieux en dehors du cercle familial, notamment à l’école. Le trouble présente plusieurs degrés de sévérité. Il y a des enfants qui sont en stade dit non verbal, c’est-à-dire avec une absence de communication, ils ne réagissent pas, ni ne prennent d’initiatives. Il y a aussi des enfants en phase de transition, par exemple, qui communiquent par des gestes, en pointant du doigt, par des hochements de têtes, en monosyllabes, par écrit, chuchotements, grognements, ou en produisant n’importe quel son. Une intervention est nécessaire pour faire évoluer la communication.
L’autisme
D’un enfant à l’autre, les caractéristiques de l’autisme varient en nature et degré, d’où le nom du spectre autistique. Le spectre de l’autisme se caractérise par la dyade autistique :
Problèmes de communication et d’interactions sociales ;
Comportements et intérêts répétitifs et restreints.
Dans la première catégorie de caractéristiques, on regroupe les difficultés dans la réciprocité sociale ou émotionnelle, l’incompréhension dans leurs échanges sociaux comme le déchiffrage des émotions de leurs interlocuteurs, les codes sociaux comme la politesse ou les sous-entendus.
Les comportements répétitifs font référence aux comportements comme les balancements du corps, les battements des mains, les tournoiements. Les intérêts restreints font des personnes porteuses d’autisme des spécialistes d’une seule matière, par exemple, le réseau de bus, les canalisations, les chevaux, les fourmis, l’espace, les LEGO, etc.
Les personnes autistes tolèrent mal les changements et les situations imprévisibles. Ils présentent une hypersensibilité ou une hyposensibilité sensorielle comme à la lumière, certains bruits, certaines odeurs et le contact physique. L’autisme s’accompagne d’autres problèmes comme le trouble du sommeil, le trouble d’apprentissage, l’hyperactivité ou l’anxiété entre autres.
Le spectre autistique (sur le terrain)
Donner un aperçu de chaque trait autistique est difficile, car, comme évoqué précédemment, l’autisme est plutôt un spectre. En effet, il faudrait plutôt parler des autismes, au pluriel. Alors, pour être précise, je vais parler d’une petite partie de ce spectre vu sous l’angle d’une maman. Il y a deux mots qui me viennent en tête pour décrire mes expériences autistiques : Intensité et rigidité.
Intensité
Chez les enfants autistes, par exemple, l’intensité peut se manifester dans les intérêts restreints : un sujet précis peut se transformer en une passion, ou plutôt en une obsession. Mon fils est un fan de dinosaures, en particulier des dinosaures carnivores, plus précisément du carnotaurus. Cette fascination persiste depuis son plus jeune âge, elle se manifeste dans le choix de ses livres, de ses jouets, de ses dessins, de ses activités et même dans la façon de marcher et de manger. Il devient peu à peu un petit savant de dinosaures carnivores, car il est curieux de tout à leur sujet : il aimerait connaître les vraies couleurs d’un carnotaurus (données impossibles à trouver). Évidemment, il veut être paléontologue pour répondre à cette question.
Chez les enfants appartenant au spectre autistique, cette même intensité se manifeste dans d’autres aspects de sa vie, de manière moins positive. Par exemple, la fatigue à la fin d’une journée d’école, avec leur hypersensibilité ou leur hyposensibilité, leurs efforts pour communiquer et comprendre les codes sociaux peuvent provoquer de fortes crises. Un événement « banal » dans leur vie peut-être source d’une tristesse ou d’une joie intense. Leurs manifestations sont difficiles à gérer.
En fait, comprendre les émotions des autres et d’eux-mêmes est un travail dur chez les enfants en général, mais encore plus chez les enfants autistes. L’attribution d’un état mental à lui-même et à autrui constitue un problème chez les personnes porteuses d’autisme. Les sous-entendus, gestes corporels, inférences, ou autres subtilités que nous utilisons dans une communication sont complexes à saisir pour eux. Ils doivent apprendre à accorder les expressions du visage à une émotion, car ils ne savent pas les décoder ni les exprimer. Une conversation « simple » peut générer de l’anxiété et de l’épuisement. Leur capacité à faire des déductions dans les interactions sociales est déficiente. Alors, leurs comportements sont souvent inappropriés.
Rigidité
La rigidité se manifeste par la résistance aux changements, aux imprévus. Pour que mon fils accepte de faire une tâche ou une activité qu’il ne veut pas faire, c’est littéralement impossible. J’ai une liste d’interdits énorme. Par exemple, deux comportements d’opposition à la maternelle qui heureusement ont évolué : mettre un pantalon de couleur autre que le marron, le noir ou le bleu ou bien manger à côté d’une personne qui mange la salade avec vinaigrette.
L’opposition la plus incontestable chez mon fils est : son refus de parler. Par exemple, il n’a jamais parlé à personne ni à la crèche ni à l’école. Il n’a jamais dit « Bonjour », même aux personnes de son entourage. Il a fait un petit progrès dans ce sens, il commence à comprendre l’importance de faire un geste pour saluer et établir une communication non orale avec quelqu’un. Ce qui est difficile pour lui est de saisir l’importance que son « interlocuteur » le voie lorsqu’il fait un geste pour dire bonjour. Il lui arrive souvent de parler tout seul, on m’a dit que c’était une sorte d’entraînement pour lui dans les échanges sociaux, mais quelques fois je crois qu’il veut discuter avec moi sauf qu’il n’a pas compris que je dois être à une distance raisonnable pour l’entendre. Cela entraîne des scènes très drôles dans notre famille.
Une autre manifestation de la rigidité chez les autistes est la rigidité alimentaire. Le refus de manger certains aliments est dû principalement à leur hyper sensibilité. Ainsi, il y a beaucoup de produits bannis de leurs repas à cause de la texture, des couleurs, des formes, de l’odeur et de l’aspect visuel. Dans le cas de l’autisme, ce dégoût pour certains aliments devient plutôt une aversion ou leurs aliments préférés deviennent une exigence. Dans le cas de mon fils, la salade est une aversion et les saucisses Frankfurt de la boucherie (et pas n’importe laquelle) une obsession. Les repas à la cantine, dans un restaurant en famille ou chez les amis, sont compliqués. Il faut beaucoup anticiper pour éviter les imprévus et les crises.
La rigidité a des côtés positifs. Par exemple, quelques enfants porteurs d’autisme arrivent à répondre clairement, avec précision et de manière détaillée à une question bien formulée où il n’y a pas d’ambiguïté, s’ils connaissent la réponse. Le langage politiquement correct, ils ne savent pas l’utiliser. Ils mentent difficilement et le sens de phrases ironiques est presque impossible à comprendre (une carrière en politique est fortement déconseillée chez les autistes !). Cela entraînera comme conséquence une mauvaise interprétation des propos de l’enfant par ses interlocuteurs : être « trop honnête », trop « franc-parler » est un défaut apparemment dans notre société.
Un autre regard sur le spectre autistique
Si votre curiosité vous amène à explorer le monde autistique, le spectre, le TSA, Autistan, le monde aspie, je vous invite à découvrir :
Je suis à l’Est ou Voyages en Autistan de Josef Schovanec, un témoignage d’une personne d’Autistan.
L’empereur, c’est moi de Hugo Horiot, un témoignage d’une personne dans le spectre.
La différence invisible de Julia Dachez, un témoignage d’une Aspergirl.
Sais-tu pourquoi je saute ? De Naoki Higashida, un témoignage d’un enfant TSA.
Einstein, le sexe et moi de Olivier Liron, un témoignage d’un aspie.
« Atypical », série Netflix sur un jeune adolescent TSA.
« Alistair HParadoxæ », chaîne YouTube de vulgarisation de l’autisme.
Comprendre les personnes autistes de haut niveau de Peter Vermeulen
Éloge des intelligences atypiques de David Gourion et Séverin Leduc
Pour inclure nos enfants porteurs de handicaps dans la société, il n’est pas nécessaire de comprendre. Quelques fois, c’est même impossible. Je pense qu’il suffit d’un peu de tolérance, d’empathie, de bienveillance, de souplesse, d’éviter les jugements, de faire un pas vers l’autre même s’il n’est pas comme nous.
Selene, directrice du pôle parent à Café Autisme