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Témoignage @eclair_autisme

  • Photo du rédacteur: Café Autisme
    Café Autisme
  • 18 mars
  • 5 min de lecture


Un Caméléon

D’aussi loin que je m’en souvienne, je me suis toujours sentie relativement en marge, différente de la majorité, en décalage avec le reste du monde, sans parvenir à identifier l’origine de ce sentiment d’étrangeté. J’ai souvent eu le sentiment d’être fondamentalement socialement inadaptée, tout en m’efforçant de « donner le change » le mieux possible afin de ne pas trahir cette inadéquation sociale, ce manque d’instinct social. C’est seulement à l’aube de mes 30 ans que j’ai réussi à mettre un mot sur un ensemble de particularités et de difficultés que j’éprouvais jusque-là sans les comprendre : les troubles du spectre autistique !


Du point de vue des relations et des interactions sociales, un concept qui me parle tout particulièrement est celui de « camouflage social ». « Feindre la normalité », « enfiler son plus beau costume de normalité », user de différentes stratégies de (sur) adaptation et de compensation pour se « fondre dans la masse », etc. : tout cela fait grandement écho à ma douloureuse expérience des relations sociales. J’ai toujours eu le sentiment d’être perdue au milieu des conventions, des contraintes, des exigences et des attentes sociales. Cependant, j’ai rapidement compris qu’il me fallait à tout prix dissimuler ce décalage et ce sentiment de confusion. Ce qui semble si spontané, simple, léger, fluide, intuitif, voire instinctif, pour la majorité (dans la manière de s’exprimer, de se comporter, de réagir en société) me semble si complexe et me demande des efforts constants et épuisants d’autorégulation et d’ajustement. Plus généralement, là où les non-autistes semblent parvenir à naviguer facilement dans leur environnement social, j’ai le sentiment que mon existence relève d’un complexe périple qui demande une vigilance accrue permanente.


Un jouet anti-stress

Je souffre également d’un certain nombre de particularités sensorielles que l’on retrouve fréquemment dans l’autisme. Tout d’abord, j’ai toujours très mal supporté la lumière, à tel point que mes proches disent souvent que je « vis dans une grotte », grotte dans laquelle je ne laisse entrer qu’un filet de lumière. Bien que je n’ose le faire, porter des lunettes de soleil au quotidien (y compris sur mon lieu de travail) me changerait la vie ! De plus, depuis le plus jeune âge, mon alimentation a toujours été particulièrement restreinte et rigide : comme le disaient mes parents, « il est plus rapide de lister les aliments que j’apprécie plutôt que ceux que je n’apprécie pas ». 4 à 5 aliments représentent 80 % de mon alimentation, sans que je n’éprouve aucune lassitude à cet égard, bien au contraire ! Aussi, bien que cela reste relativement gérable, je suis également très sensible sur le plan auditif et olfactif. Autrement dit, certains bruits et certaines odeurs suscitent chez moi de fortes réactions, car elles sont vécues comme de véritables agressions. Enfin, je reste relativement mal à l’aise avec les contacts physiques et tactiles, et j’ai besoin de maintenir une certaine distance physique avec les autres. La promiscuité est sensoriellement difficilement supportable pour moi.


Régulièrement qualifiée de « psychorigide » par mes proches, je suis effectivement très attachée à un certain nombre de routines et modes d’organisation ritualisés qui rythment mon quotidien et contribuent à rendre celui-ci plus confortable, pour ne pas dire plus supportable. Tout ce qui viendrait bouleverser mes routines et habitudes, les changements, et plus encore lorsqu’ils ne sont pas anticipés, sont pour moi source d’anxiété, d’angoisse et de détresse. C’est un peu comme si mon cerveau avait besoin de débrancher manuellement les connexions établies liées à ce que qui était prévu, pour finalement rebrancher manuellement de nouvelles connexions. L’anticipation, la prévisibilité, la constance et l’organisation sont des concepts que j’affectionne particulièrement, et leur mise en pratique est une condition indispensable à mon bien-être. Quels que soient les événements (positifs, négatifs ou neutres), j’ai un besoin quasi impérieux de m’y préparer mentalement plusieurs semaines à l’avance. Tout déplacement dérogeant à mes habitudes doit être prévu longuement à l’avance, aussi bien psychologiquement que matériellement, sans quoi je cède facilement à la panique.


Par ailleurs, je suis très attachée à mon logement qui est pour moi un véritable refuge et qui constitue le seul environnement sur lequel j’ai une maîtrise (quasi) totale ! De ce fait, j’ai énormément de mal à séjourner en dehors de mon domicile, mais également à y faire séjourner des proches (je me sens rapidement envahie). Mon entourage, y compris les personnes les plus proches, sait que se rendre chez moi à l’improviste serait très malvenu. Il en va de même avec les appels téléphoniques que je préfère limiter et anticiper. Si j’apprécie de voir mes quelques amis et ma famille de façon régulière, j’éprouve le besoin de préserver un temps solitaire important. Les relations sociales, aussi enrichissantes et épanouissantes soient-elles à différents égards, me demandent beaucoup d’énergie. Ainsi, un certain temps de solitude hebdomadaire, dans la quiétude de mon domicile, m’est absolument indispensable. Je consacre la majorité de mon temps libre à mes activités favorites : la rédaction, la correction, la structuration et la mise en page d’écrits universitaires ou professionnels ainsi que la recherche sur l’autisme (et plus généralement sur le handicap, les troubles et les thématiques médico-sociales).


un chien sur un coussin

Fonctionner de façon « adéquate » dans une société que j’ai tant de mal à comprendre, dont les conventions et valeurs m’échappent, dont je réprouve les fondements et les mécanismes, est source d’épuisement, de frustration et parfois de désarroi. Cependant, j’ai réussi à gagner considérablement en bien-être et en qualité de vie en renonçant enfin à satisfaire certaines normes et idéaux sociaux. Voici une liste (non exhaustive) des principaux éléments qui ont contribué à me sauver du pire :


  • Emménager dans une ville de plus petite taille, offrant un cadre, un rythme et un mode de vie plus sereins et plus respectueux de l’humain ;

  • Accepter de ne pas répondre aux standards en refusant tout engagement conjugal (un compagnon, oui, mais chacun chez soi !) et toute perspective de mariage ou d’enfantement ;

  • Renoncer aux perspectives de carrière professionnelle qu’aurait pu m’offrir mon niveau d’études (bac +5), au profit d’un emploi « sous-qualifié » à temps partiel ;

  • Parvenir à trouver un certain équilibre professionnel : un temps partiel avec un salaire, combiné à un travail indépendant me permettant de travailler à distance avec peu d’interactions sociales ;

  • Bénéficier de certains aménagements professionnels (notamment au niveau des horaires) avant même la reconnaissance officielle de mon handicap ;

  • Rencontrer des personnes autistes et/ou neuroatypiques avec lesquelles je me sens davantage comprise, respectée, libre d’être moi-même et intellectuellement stimulée ;

  • Bénéficier d’un suivi de la part de professionnels de santé compétents et bienveillants, à l’écoute et respectueux de mes besoins ;

  • Obtenir la reconnaissance et la compréhension de mes difficultés et particularités grâce à la pose récente du diagnostic de TSA.


Le diagnostic d’autisme a littéralement changé ma vie ! Il m’a permis de mieux comprendre certains aspects de mon fonctionnement, certaines de mes particularités et difficultés. Il m’a également permis de porter un autre regard sur moi-même, de faire preuve de plus d’indulgence et de bienveillance à mon égard et à l’égard d’autrui (moi qui étais/suis si exigeante et intransigeante), de reprendre (légèrement) confiance en moi, notamment en acceptant mieux mes « bizarreries ». Une phrase issue d’un témoignage d’une « homologue » (diagnostiquée tardivement) a particulièrement résonné en moi. En substance, celle-ci déclarait : « avec le diagnostic, c’est comme si j’avais retrouvé ma planète, moi qui, des années durant, avais le sentiment d’être égarée et d’avoir atterri sur la mauvaise planète ».


Le diagnostic peut véritablement changer une vie, comme le montrent bien nombre de témoignages d’adultes ayant reçu un diagnostic tardif d’autisme (c’est également valable pour bien d’autres troubles). À cet égard, je déplore le retard qu’accuse la France en matière de recherche, de dépistage et de prise en charge de l’autisme. Les spécificités du TSA SDI (troubles du spectre autistique sans déficience intellectuelle) chez l’adulte, en particulier chez la femme, restent largement méconnues. D’après les chiffres publiés par Autisme France, 90 % des adultes autistes ne seraient pas (encore) diagnostiqués ! Alors que certains pointent du doigt un phénomène de mode (le diagnostic de TSA serait devenu « attractif ») et un risque de surdiagnostic, les chiffres témoignent au contraire d’une situation de sous-diagnostic. Ainsi, il serait grand temps que la France, dont l’ambition est de rendre la société plus inclusive, se penche davantage sur la question des troubles neurodéveloppementaux, et notamment les TSA.




Instagram : @eclair_autisme


 
 
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